En conclusion de la notice publiée à l’occasion du 150e
anniversaire de l’École des Mines de Saint-Étienne figure la phrase suivante : « Technicien
et conducteur d’hommes, l’ingénieur s’impose de plus en plus comme le grand
homme des temps modernes ». Dernière l’emphase de la formule se cache une
réalité : les ingénieurs civils des mines (ICM) ont débordé de leurs
champs d’activité originels, les mines et la métallurgie, pour figurer parmi
les acteurs majeurs des industries de la deuxième industrialisation. Ils
trouvent, avec la diffusion de la grande entreprise, un terrain
d’épanouissement aux pratiques gestionnaires et managériales dont les grandes
exploitations minières constituent le terreau. Ainsi, l’ingénieur civil des
mines est devenu une figure professionnelle particulière dans le panorama
industriel français.
En théorie, le domaine d’activité des ICM se situait dans
l’industrie extractive, notamment les houillères, pour lesquelles la formation
avait été conçue, afin de promouvoir, voire d’organiser l’exploitation
rationnelle des ressources nationales. Cependant, la réalité historique révèle
des compétences et des parcours plus ambitieux et complexes que cet objectif
initial. Ces ingénieurs ont occupé un éventail de positions beaucoup plus large
que la seule branche minière, en étant recrutés dans la sidérurgie, la
métallurgie, la mécanique, la chimie, l’électricité et, pour arriver à des
périodes plus récentes, le nucléaire et l’informatique. Car, en définitive, la
formation d’ingénieur civil des mines débouche sur l’acquisition de compétences
techniques variées, ainsi que sur la maîtrise de l’organisation du travail et
des flux d’investissements. Elle les inscrit au sein d’une communauté où
l’innovation se partage, se communique et se diffuse bien au-delà des seules
industries minières et sidérurgiques. Cela ne doit pas surprendre, car le
métier d’ICM s’est développé entre deux volets, celui de la technique et celui
de la gestion. D’un côté, l’ICM est dépositaire d’un savoir-faire technique
qui, dans des périodes bien définies, lui a apporté une valeur ajoutée
particulière sur le marché de l’emploi. Ses connaissances comportent des capacités
d’application de la technique à la production et aux champs de l’innovation.
Grâce à ses compétences, l’ICM s’est progressivement imposé dans le monde
industriel au cours du XIXe siècle, avant d’étendre son emprise au
XXe siècle. L’application de la technique à la production a été une
des bases matérielles du développement économique et de la structuration des
systèmes de production modernes. Mais l’ICM n’était pas seulement un
technicien. La formation de l’ingénieur était aussi caractérisée par des
enseignements en économie industrielle qui ont modelé le métier, afin de
fournir des gestionnaires, des dirigeants, ou, pour mieux dire, des managers.
Dans un système économique en évolution, ses tâches sont devenues décisives
afin de rationaliser le processus productif au niveau des approvisionnements,
dans l’écoulement des produits vers le marché et dans la mobilisation du
capital humain. Cette capacité à gérer doit être perçue dans son sens le plus
large : celui d’administrer les affaires courantes, mais aussi de faire
des prévisions et d’agir par anticipation dans des situations économiques
fluctuantes.
L’ICM se doit, dans ces conditions, d’expérimenter,
adopter, modifier les méthodes industrielles. Sur ce point, le rôle des
ingénieurs civils a été essentiel et il semble pertinent de s’interroger sur
les liens existants au niveau des réseaux organisés par cette catégorie, comme
la Société de l’Industrie Minérale ou celle des Ingénieurs Civils de France.
Enfin, cette approche a été caractéristique d’un des principaux ICM, Henri
Fayol, qui a théorisé sa doctrine gestionnaire (le Fayolisme) en 1916, après un
demi-siècle d’expériences à la tête de Commentry-Fourchambault et Decazeville.
L’expérience de Fayol et celle des ICM nous amènent à formuler l’hypothèse
qu’un processus de transfert de savoir-faire comme de pratiques techniques et
gestionnaires s’est produit des mines vers d’autres activités économiques.
Autrement dit, les nécessités économiques et de gestion d’une branche
industrielle spécifique (l’industrie extractive), fortement liées à la
prévision par la technique, se sont avérées former le substrat commun de toute
activité productive.
Le métier et les pratiques de l’ICM ont donc contribué à
transformer l’industrie, en lui donnant des modèles techniques et de gestion.
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